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Communauté de production artistique

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Dialogue – Paiheme

Comment se porte le monde de l’illustration en France et quels en sont les nouveaux acteurs ? Pour en savoir plus sur le travail d’illustrateur, nous avons interviewé Pierre-Marie Postel, plus connu sous le nom de Paiheme, un jeune illustrateur freelance résidant à Caen.

Paiheme a débuté son activité en 2015 et accède aujourd’hui à une certaine notoriété, notamment sur les réseaux sociaux. Il mêle dans ses créations, en grand ou petit format, différents symboles, personnages et objets de la culture japonaise de la fin du siècle dernier. Son travail l’a amené à collaborer avec des chanteurs comme Eddie Vedder, des restaurants et des marques de vêtements comme Talister Paris.

Équipe Créative : Bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation. Pourriez-vous nous expliquer le choix de votre nom d’artiste « Paiheme » ?
Paiheme : Avec plaisir, merci à vous ! Paiheme est la manière dont j’ai choisi d’écrire « PM », qui a toujours été mon surnom. Mon prénom étant Pierre-Marie, cela me paraissait naturel d’aller vers quelque chose de simple et ressemblant.
E.C : Vos créations uniques sont aussi objectives qu’abstraites, de par votre mise en scène d’éléments du réel très mélangés qui se situent en dehors d’un environnement réel de vie quotidienne. Les éléments mobilisés et thématiques abordées sont très spécifiques à votre univers, qui est un univers japonais. Comment définiriez-vous votre production et sa différence avec les autres productions visibles dans les musées ou sur internet et les réseaux sociaux ?
P : Je définis mon travail comme un mélange artistique entre design graphique et illustration. Il y a la part artistique à travers laquelle j’ai intérieurement le besoin d’exprimer ma vision et mon expérience des voyages, notamment le Japon. Il y a une part d’illustration, qui mélange mes influences provenant du manga, de la bande-dessinée et des comics américains, et une part de design graphique qui s’inspire de la publicité japonaise des années 1970, par exemple. Mais avant tout, ça reste du dessin et un plaisir de créer des univers.
E.C : D’où est venue votre réussite ? Est-ce par Instagram ou d’autres réseaux sociaux que vous vous êtes fait connaître ?
: Je dirais que les choses sont en bonne voie, mais la réussite est encore loin (rires). Aujourd’hui je pense que c’est très compliqué de vouloir devenir indépendant en ne se basant que sur un seul réseau social. Du moins sur du long-terme. C’est important de créer un univers « cross-media » et de venir enrichir chaque média avec les particularités relatives de chaque plateforme. Par exemple, je me sers d’Instagram pour présenter une galerie clean mais si les gens veulent voir mon processus de création, je les invite plutôt à me suivre sur Behance ou sur Twitch. Chaque plateforme doit amener vers une autre plateforme pour créer un ensemble interconnecté. Cela fait quelques années que j’y travaille, mais aujourd’hui je commence à voir des résultats intéressants.
E.C : Vos œuvres comportent une foule de détails mais dans ce style japonais, justement, beaucoup d’éléments de vos compositions sont des idéogrammes, des cases, des titres en grandes lettres, des petits objets, etc. Combien de temps mettez-vous en moyenne pour réaliser un dessin, sur une feuille A3 par exemple ?
: Les meilleurs jours, une dizaine d’heures. Sinon, c’est plutôt une trentaine en moyenne. Il y en a cependant qui m’ont pris plusieurs semaines (rires).
E.C : On peut souvent penser que le numérique permet de faciliter, voire d’accélérer les processus créatifs comme le dessin. Réalisez-vous vos œuvres autant de manière digitale que sur papier ou y a-t-il un support qui, progressivement, a pris le pas sur l’autre dans votre travail ?
: Au début, je dessinais tout sur papier. Maintenant, depuis deux ans à peu près, je réalise uniquement les croquis sur papier et je les scanne ensuite pour continuer le dessin sur Photoshop. Je me suis dit, à un moment, que si je mettais en place un process comme tel, je pourrais dégager du temps pour faire de la musique ou des toiles. Je dirais que cela me permet d’avoir une sorte de frontière avec des productions plus personnelles.
E.C : Vous réalisez aussi de plus grands visuels comme des fresques murales, vous composez pour des marques de vêtements, vous avez créé des bornes d’arcade à construire et des coques de téléphone. Y a-t-il un support auquel vous auriez particulièrement envie de vous essayer à l’avenir ?
: Un truc délirant comme une façade d’immeuble, ça serait génial ! Et j’adorerais faire des figurines avec le packaging à l’ancienne. Sinon, actuellement, des snowboards décorés de mes dessins sont en cours de réalisation. J’ai hâte de les voir en vrai !
E.C : Vous avez plusieurs fois voyagé au Japon et dans d’autres pays d’Asie. Pensez-vous que, sans ces voyages, vous auriez pu produire vos créations avec la même qualité ? Avez-vous trouvé dans ces pays la justesse, les méthodes et l’inspiration que vous recherchiez ?
: Honnêtement, oui. Mais le fait d’y être allé me rend peut-être plus impliqué dans mes recherches. J’ai le besoin de m’appliquer et de partager certaines choses. Les détails dans mes dessins sont très souvent des références à des choses réelles comme l’album d’un musicien, une série, un restaurant, une rue dans laquelle je suis allé, etc.
E.C : Avec vos créations, on a l’occasion de se plonger dans une œuvre pleine de détails qui rappelle des objets anciens, notamment des vieilles affiches du siècle dernier. Le fait de reprendre beaucoup de cette iconographie du XXème siècle, est-ce pour vous un moyen de revenir à un contenu et une organisation des éléments visuels plus inspirée, voire même plus légitime que les iconographies actuelles — de la publicité notamment ?
: Mon travail part avant tout d’une passion pour rechercher des idées visuelles inconnues ou oubliées, comme les diggers de vinyles par exemple. Je souhaite comprendre comment ils étaient faits à l’époque et pourquoi ils ne sont plus à la mode aujourd’hui, pourquoi ils vont bientôt revenir, etc. Ensuite je trie ce que je peux exploiter pour mixer le tout avec une touche plus actuelle. Cela donne un mélange un peu anachronique.
E.C : Votre œuvre est très particulière. On ne pourrait l’assimiler ni au pop art, très expressif et vif des années 70-80, ni à l’art japonais à proprement parler, puisque vous êtes français et ancré dans une société bien différente de la société japonaise. Estimez-vous que votre production est assez reconnue ? Certaines clés de lecture peuvent-elles manquer au public français, ou plus largement à un public non nippon ?
P : C’est ce que je trouve cool, justement, le fait d’être dans un entre deux. J’essaie de créer des illustrations compréhensibles pour tout le monde, mais seules les personnes qui feront un effort supplémentaire de recherche seront en mesure de déceler les références et les éléments moins évidents que les japonais, eux, sauront reconnaître au premier coup d’œil.
E.C : La profession d’artiste peut souvent dépendre des commandes de clients particuliers. Avez-vous eu de la facilité à vendre votre travail ? Comme beaucoup de vos visuels peuvent s’éparpiller chez différents particuliers, n’aimeriez-vous pas construire ou disposer d’un lieu physique, comme un musée, pour entreposer et afficher certaines de vos productions et les rendre accessibles à tous ?
: Je crois que mon travail a su trouver un public car je suis arrivé sur le marché au moment où les illustrations d’inspiration japonaise commençaient doucement à devenir à la mode. Deux ans plus tard, tous les rappeurs mettaient des références de leurs mangas préférés dans leurs textes et Netflix diffuse aujourd’hui des animés. J’ai eu de la chance sur le timing, oui.
Et à propos de votre deuxième question, bien sûr que oui ! Je rêverais d’avoir un concept store doté d’un espace pour les expositions permanentes avec une partie boutique de vêtements et d’affiches, un coin pour se détendre et se restaurer… Un peu à la manière d’Avec & Co à Rennes, ou d’un café APC avec la dimension musée. Au-delà de toute la partie illustration, je me suis vite rendu compte que j’adorais collaborer avec des acteurs externes (marques, entreprises, réseaux, fournisseurs, etc.) et que s’occuper d’une structure, de l’aspect marketing et de sa communication, est assez chouette, même si ce n’est pas ce que je voulais faire à la base. Si mes dessins me permettent un jour de faire vivre des gens et d’avoir un impact économique et culturel positif au sein de la société, je ne demande pas mieux.
E.C : Vous avez pu observer au Japon, lors de vos voyages, l’implantation importante de l’iconographie nippone dans la société, les rues, les magasins, etc. L’univers manga est plus composé et présent qu’en France, très pictural et très dense mais aussi parfois très idéaliste. N’est-il pas étouffant dans ce pays ? Pensez-vous que nous avons de la chance, en France, de rencontrer encore assez rarement cette iconographie pour réussir à l’apprécier et la trouver particulière ?
: Je pense que vous avez raison. Quand tu es touriste, le dépaysement dans un pays comme le Japon est extraordinaire en terme d’expérience visuelle, mais on ne vit pas avec au quotidien. Cependant, j’avoue que vivre dans une mégalopole cyberpunk sortie de Blade Runner, ça me tente bien aussi (rires).
E.C : Vient maintenant le tour de notre rubrique libre. Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose, autant pour clore que pour ouvrir ce débat ?
: En tant que français, je crois que nous sommes très focalisés sur le Japon depuis quelques années avec la mode provoquée par certains mangas, les animes, la cuisine, etc. On a tendance à oublier les pays voisins qui sont dotés d’une richesse culturelle tout aussi incroyable. Mon dernier voyage coup de cœur a été le Cambodge, qui est très différent et sur de nombreux points, est incomparable au Japon. On n’y voit pas les mêmes choses, le dépaysement n’est peut-être pas aussi intense, mais j’y ai passé là-bas un séjour extraordinaire aux côtés de gens d’une bienveillance et d’une générosité hors du commun. Je les aime tellement.
Et je recommanderais le film génial In the Mood for Love de Wong Kar-wai, dont la fin a été filmée au Cambodge.

Mars 2019