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Communauté de production artistique

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Dialogue — Julien Roos

Le jeune créateur design et étudiant à l’École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art (Ensaama) de Paris, Julien Roos, nous a fait l’honneur de s’entretenir avec nous. Lauréat du Premier Prix Mobilier National – Jeune création 2020 avec d’autres étudiants de l’École, il revient avec nous sur son parcours, ses inspirations et son dernier projet de mobilier récompensé qui habillera bientôt le Salon Murat de l’Elysée, hébergeant le Conseil des Ministres.

Équipe Créative: Bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation. Vous avez 23 ans et êtes étudiant en art design à Paris. Comment en êtes-vous venu au design et pourquoi souhaitez-vous devenir designer ?
Julien Roos : Bonjour et merci à vous pour cet entretien. J’ai commencé à dessiner, créer et faire des constructions dès mon enfance. Ma curiosité insatiable et mes techniques graphiques se sont développées en autodidacte, au fil des années. C’est donc naturellement que je me suis orienté vers des études en arts appliqués après l’obtention de mon baccalauréat scientifique avec option arts plastiques. Les étapes de mon parcours de formation m’ont amené à me spécialiser dans le design de produits à l’Ensaama – Olivier de Serres à Paris, même si je reste toujours ouvert et intéressé par les autres champs du design.
Mon projet de devenir designer s’explique par mon plaisir de trouver des réponses à des enjeux et des problématiques concrètes, en trouvant les meilleures solutions d’usage et d’esthétique. Mais il se justifie surtout par mon envie de création, de découverte, et mon souhait de contribuer à la conception de projets suscitant des liens, à la fois entre le temps, les volumes, les hommes et ce qui les entoure, de manière réciproque, complémentaire et bienfaisante.
E.C : Dans quelle optique vous formez-vous aujourd’hui ? Quels projets aimeriez-vous réaliser dans l’avenir et quelle philosophie de l’art design souhaitez-vous appliquer ou initier ?
J.R : Je me forme dans le but de pouvoir aborder les multiples facettes de création que permet le design de produits car c’est justement sa pluridisciplinarité qui m’attire. Actuellement en fin d’études, je compte me professionnaliser auprès d’agences et de studios de designers, avant de peut-être me mettre à mon compte en tant que designer indépendant d’ici quelques années.
Concernant ma philosophie de création et mes envies de projets, mon souhait est d’associer passions personnelles et création de manière plus étroite. Originaire d’Alsace, j’ai développé un fort attachement à notre patrimoine et à son histoire. Associée à ma curiosité scientifique et à une cohérence d’objectifs et de projets, l’une de mes ambitions est donc de proposer un design des « temporalités additives » afin de continuer notre Histoire et de la faire évoluer selon les enjeux contemporains.
E.C : Comment se déroulent vos études à l’École Nationale Supérieure des arts Appliqués et des Métiers d’Art (Ensaama) ? Quelles sont pour vous les qualités de cette école et que vous a-t-elle apporté ?
J.R : Depuis mon intégration dans l’école en 2017, je ne cesse de m’épanouir au fil de mes années d’études toujours plus riches en apprentissages, en expériences et en qualité de projets. J’ai intégré l’école et la formation que je souhaitais dans le cadre d’un recrutement très sélectif. Le travail à fournir demande de l’organisation et de l’exigence. Mon BTS en Design de Produits m’a permis d’acquérir la méthodologie et l’ensemble des outils de création et de communication nécessaires à la réalisation de projets. Le Diplôme Supérieur en Arts Appliqués me permet, quant à lui, d’affirmer mon approche de recherche et de conception, de développer mon autonomie et ma gestion de projet et de m’ouvrir au monde professionnel. Ce dernier point est l’une des qualités premières de l’école, grâce à ses participations à de multiples concours de design, ses stages en immersion et ses nombreux partenariats d’entreprises. Parmi ces partenariats, il y a notamment celui du Comité Colbert (association fondée en 1954 à l’initiative de Jean-Jacques Guerlain et qui se consacre à la promotion de l’industrie française du luxe en France et à l’étranger) en année de Master 2 Stratégies du Design, qui est une exclusivité dont je compte tirer profit pour finaliser mon cursus à l’Ensaama et favoriser mon insertion professionnelle.

Medulla (littéralement la « moelle », le cœur) est le nom de ce projet de mobilier organique s’inspirant étroitement de la structure d’une colonne vertébrale.

E.C : Votre nom est apparu dans les médias il y a peu pour un concours que vous avez remporté avec d’autres étudiants en art design de l’Ensaama. Quel était votre création pour ce concours et comment s’est initié puis réalisé ce projet ?
J.R : En effet, ce concours inédit est issu de la collaboration entre le Campus des Métiers d’Art & du Design et le Mobilier National, une institution chargée de préserver et de créer le mobilier historique des bâtiments officiels de la République française. Il s’agissait de la première édition destinée à une sélection de cinq écoles parisiennes de design, dont l’Ensaama. C’était une opportunité inédite au vu du sujet imposé, qui était celui de la création du futur aménagement du Conseil des Ministres au Palais de l’Élysée. Le cahier des charges consistait en la conception d’une table modulable, de chaises et de fauteuils, de consoles, de lampadaires, de lampes à poser et d’un casier à téléphones. Notre proposition reposait sur trois valeurs : structure, dynamisme et unité, toutes les trois matérialisées par des plateaux adoptant chacun le profil organique d’une vertèbre, et dont la surface en fine couche de béton revendique des qualités de minéralité et de solidité. La table représente le conseil des Ministres comme étant la colonne vertébrale et la moelle épinière du Gouvernement.
L’intégration à un lieu aussi prestigieux, symbolique et patrimonial que le Salon Murat du Palais de l’Élysée nous tenait particulièrement à cœur, c’est pourquoi nous avons respecté les coloris de la pièce et réinterprété sa modénature sous la forme de trois liserés sobres et dorés se retrouvant sur la table et dans le dessin des lampadaires. Notre proposition a été validée par les jury du Mobilier National et de l’Élysée, récompensée le 8 septembre 2020 en tant que projet lauréat du concours puis présentée dans les médias et exposée au public à la Galerie des Gobelins lors de la Paris Design Week et des Journées du Patrimoine.
E.C : Quelle place tient ce projet dans votre jeune carrière ? Qu’avez-vous appris ou perfectionné à travers ce travail ?
J.R : Ce projet s’offre à moi et mes collègues (Misia Moreau, Lucille Poous et Étienne Bordes) comme une grande première, à la fois en tant qu’opportunité de sujet, de visibilité et de poursuite professionnelle. La conception du mobilier a été le fruit d’une réflexion collective. Concernant la phase opérationnelle, j’ai été chargé de réaliser l’intégralité des modélisations, des rendus réalistes, des maquettes en impressions 3D et des visuels d’intégration. Dans un second temps, j’ai également contribué à la création de la scénographie de l’exposition promotionnelle du concours à la Galerie des Gobelins. Notre sélection, en tant que projet lauréat, a le privilège d’être prototypée et fabriquée par l’équipe de l’Atelier de Recherche et de Création du Mobilier National, visant à promouvoir le design et la création contemporaine au sein de l’institution. Cette collaboration nous permet de bénéficier de tous les avantages d’un réel projet de designer professionnel, comme la signature de notre premier contrat, une rémunération, un suivi de réalisation, des échanges avec les artisans afin de répondre aux contraintes de conception techniques grâce à leur expertise, une sollicitation par des entreprises, une promotion du projet à travers de nombreux médias et interviews comme c’est le cas aujourd’hui avec vous, Équipe Créative.
E.C : Votre nouvel aménagement du Salon Murat du Conseil des Ministres pourrait représenter le travail de l’art design dans un service de l’intérêt général, un service de la nation et de ses institutions. Voyez-vous ce projet sous cet angle ?
J.R : Bien sûr, car le Conseil des Ministres représente le lieu de décision du gouvernement ayant des répercussions sur la nation et notre pays. Ce projet, en lien direct avec la prestigieuse institution qu’est le Mobilier National, représente également une première et un travail au service de notre patrimoine mobilier. En effet, celle qui était auparavant considérée comme la « table » du Conseil des Ministres était en réalité constituée de plateaux et de simples tréteaux en bois, cachés sous une énorme nappe grisâtre. Notre proposition répond à une commande d’État.
Les enjeux étaient multiples et de taille, notamment du point de vue de la symbolique mais aussi de la considération du cahier des charges et du respect du protocole. Ils témoignent cependant d’un réel intérêt de la Présidence pour la reconnaissance du design dans un lieu aussi remarquable que l’Élysée, représentant ainsi l’ouverture du Gouvernement et de ses institutions au monde contemporain et à la jeune création.

L’ensemble des pièces de mobilier du projet Medulla.

E.C : Avez-vous des occupations sans lien direct à l’art design qui vous servent cependant dans votre parcours d’artiste ? Vous essayez-vous à d’autres formes d’art pour élargir votre champ de considération et de réflexion ? Si non, quel autre art vous plairait-il d’essayer ?
J.R : En complétant ma passion pour l’histoire et le patrimoine que j’ai abordée précédemment et qui m’offre une source inépuisable d’inspirations, j’ai également été très tôt sensibilisé aux arts, notamment à la musique, dans toute sa diversité de styles et de genres. Je travaille toujours en musique. Cela me permet d’entrer dans une bulle sonore de création, adaptée selon mon humeur et l’univers du projet sur lequel j’œuvre. J’ai pu m’initier quelques années aux percussions. Il me plairait de reprendre une pratique musicale et pourquoi pas de m’essayer à un nouvel instrument, mélodique cette fois. À l’instar de la discipline personnelle propre à la musique, j’ai également pratiqué des activités en clubs dont les exigences de précision, de maîtrise du geste et de soi se retrouvent dans ma méticulosité et mon souci de perfection.
E.C : La recherche bibliographique tient-elle une place importante dans votre travail ? Pour la conception et la réalisation de produits design et architecturaux, certains courants et artistes vous inspirent-ils ?
J.R : Bien évidemment, et cette phase de recherches est directement en lien avec mon naturel curieux et intéressé. Selon moi, toute création, même la plus avant-gardiste qu’elle soit, se rattache indéniablement aux connaissances et, par conséquent, à ce qui existe ou a existé. C’est pourquoi j’accorde effectivement une place importante aux références à la fois culturelles, historiques, artistiques, artisanales et scientifiques. J’ai toujours apprécié chercher, fouiner, découvrir, comprendre et apprendre de nouvelles choses. Chaque référence m’amenant à une autre, ce travail de ramification élargit ainsi le propos, l’esthétique, la portée sémantique et narrative de mes projets.
Ces différentes inspirations relient souvent les domaines du design et de l’architecture et donc l’objet, le produit, à l’espace dans lequel il est inscrit. J’apprécie ainsi les artistes et designers qui sont des créateurs d’univers immersifs et expriment leur propre style à travers des expositions telles que AD Intérieurs. J’aime tout particulièrement l’approche du designer Ramy Fischler qui arrive à créer une relation spatio-temporelle harmonieuse entre héritage passé et enjeux contemporains, ainsi que le travail du designer Mathieu Lehanneur qui manie poétiquement le rapport entre la physique, les éléments naturels et les matériaux.
E.C : L’art design est une discipline nécessitant nombre d’actions manuelles, physiques, collectives. Comment aborder cette discipline en cette année de restrictions ? La contrainte nouvelle a-t-elle pu nourrir certains de vos projets et vous aider à définir nouvellement vos priorités artistiques ?
J.R : Il est vrai que depuis plus d’un an, nos conditions de vie actuelles en raison de l’épidémie du Covid-19 remettent en question bien des choses sur notre manière d’agir mais aussi de concevoir en tant que designer. Les contraintes d’ordre sanitaires et de distanciation sociale ont des répercussions non négligeables sur bon nombre de projets qui sont modifiés, voire même parfois annulés, à différents stades de leur évolution. Le confinement induit un recentrage de soi sur soi chez soi, où chacun y trouve subjectivement ses avantages et ses inconvénients.
Si l’intelligence consiste en la faculté d’adaptation, alors le design est l’un des vecteurs pouvant manifester cette intelligence. En tant que designer de produits, le constat est que les objets qui nous entourent sont potentiellement des vecteurs de transmission du virus. Il pourrait convenir d’induire des recherches inédites et d’intégrer les nouvelles contraintes sanitaires dans leur conception. Même si l’épidémie finira un jour par être maîtrisée, elle conduira sans nul doute à de nouvelles manières d’appréhender notre environnement et ce qui le constitue.

Julien Roos sur le stand de présentation du projet Medulla.

E.C : Les projets artistiques doivent-ils actuellement répondre à l’actualité ? L’art design est un travail de et sur l’environnement. Les circonstances actuelles nous pressent-elles à travailler, remodeler notre environnement ?
J.R : Tout dépend de la typologie d’environnement dans lequel on s’inscrit. Je pense surtout que les circonstances actuelles, majoritairement pessimistes pour l’avenir, nous incitent à nous remodeler nous-mêmes ainsi que le système et le fonctionnement social que nous avons créés en tant qu’êtres humains. D’après moi, ce n’est pas à l’environnement naturel de s’adapter mais bel et bien à ceux qu’il héberge. La plasticité du design peut effectivement contribuer à repenser ou revoir l’interactivité entre nous et notre environnement sans pour autant compromettre celui-ci. Cette question mérite d’être traitée à différentes échelles et degrés de priorités.
E.C : Vient maintenant notre rubrique libre. Souhaitez-vous ajouter quelque chose autant pour clore que pour ouvrir ce dialogue ?
J.R : Je vous remercie pour cette opportunité d’expression. Je pense qu’il est aujourd’hui nécessaire, dans un système mondialisé, d’accélération, d’instantanéité, en proie aux enjeux écologiques, sanitaires, politiques, sociaux et patrimoniaux, de revoir notre rapport aux différents temps présents, à savoir celui du présent du passé (la mémoire), du présent du présent (l’intuition), et du présent de l’avenir (l’attente). Cette pensée de Saint-Augustin m’interpelle tout particulièrement. Nous nous rendons compte de plus en plus que nos actions d’aujourd’hui auront des conséquences non négligeables sur notre lendemain. Le défi est pluriel et perpétuel. Il s’agit de s’adapter aux nouveaux enjeux contemporains tout en continuant de transmettre l’histoire de notre évolution aux générations qui nous succéderont et, au-delà, à celles que nous ne rencontrerons jamais. Notre devoir est de leur léguer l’opportunité de pouvoir découvrir toute la richesse, la beauté et l’unicité de notre monde. Il convient de décider où aller, tout en sachant d’où l’on vient.
Mai 2021
Entretient retranscrit de l’oral